F. Monteforte et al. (dir.): Voltaire : Gli anni in Svizzera

Cover
Titel
Voltaire : Gli anni in Svizzera.


Herausgeber
Monteforte, Franco; Caruso, Carlo
Erschienen
Locarno 2021: Armando Dadò Editore
Anzahl Seiten
795 S.
von
Elisabeth Salvi

L’édition et la traduction de 135 lettres de Voltaire a été réalisée sous l’égide de la collection I cristalli — Helvetia Nobilis qui promeut la traduction d’écrivains suisses de langue allemande, française et romanche afin de contribuer à la réflexion sur l’identité helvétique. À son actif, elle possède déjà plus de 70 traductions. L’éditeur Carlo Caruso a sélectionné ce corpus de lettres sur un ensemble de plus de 4000 envoyées par Voltaire entre la fin de 1754, lorsqu’il arrive en Suisse — après trois années passées auprès de Frédéric II — et décembre 1760, époque des dernières lettres écrites des Délices. Le projet de l’édition — précédé par une préface rédigée par Franco Monteforte de plus de 400 pages, organisée en huit chapitres — vise à identifier l’évolution de la pensée voltairienne à l’aune des protagonistes et des événements survenus en Suisse et plus particulièrement à Lausanne et à Genève en écho au contexte européen dans lequel Voltaire continue à évoluer durant son séjour helvétique.

Dans cette perspective, les cinq premiers chapitres de la préface s’inscrivent dans la résidence de Voltaire en Suisse qu’il recherche d’abord à Lausanne, grâce à ses amis le lieutenant baillival Clavel de Brenles et le pasteur Polier de Bottens (chapitre I). Dans l’attente d’une série de tractations menées par ses éditeurs Cramer, alertés par l’éventuel achat d’une maison à Lausanne qui pourrait favoriser les intérêts de leur concurrent Bousquet, Voltaire séjourne auprès du baron Guiguer au château de Prangins. C’est finalement à Saint-Jean à Genève, avec l’aide du conseiller François Tronchin, que l’achat d’une demeure, rebaptisée Les Délices par Voltaire, est conclu. Les Cramer pourront ainsi publier jusqu’en 1773 les 50 volumes de la Collection complète de M. de Voltaire. Dans le chapitre II, Monteforte montre comment Voltaire compose avec les élites genevoises malgré la censure de l’Épitre de l’auteur en arrivant dans sa terre près du lac de Genève, en mars 1755, où il salue la cité héritière de la liberté, « déesse éternelle de l’homme*» (p. 68). Ici, écrit Voltaire «/Les classes sont toutes égales, les hommes tous frères/Liberté, liberté, ton trône est ici/» (p. 69). Quant à la villa qu’il loue à Lausanne à Montriond pour y passer l’hiver dès décembre 1755, Voltaire la dédie aux plaisirs du théâtre, interdit à Genève, installé dans la maison de campagne de Mon-Repos : « […] à Lausanne, on respire l’air des plaisirs honnêtes et la douceur de la vie sociale » (p. 147) écrit-il au pasteur genevois Jacob Vernes. Monteforte insiste sur l’impact de Voltaire sur la société lausannoise et cite en exemple Edward Gibbon qui note dans ses Mémoires de ma vie (1796) que l’« esprit et la philosophie de Voltaire, sa table et son théâtre, contribuèrent visiblement à adoucir et à raffiner à Lausanne les bonnes manières » (p. 150). Le pasteur Polier de Bottens sera même convaincu par Voltaire de rédiger des articles pour l’Encyclopédie. C’est aussi dans le cercle lausannois que Voltaire (chapitre III) lit pour la première fois le Poème à la suite du cataclysme de Lisbonne. Face aux réserves lausannoises et à celles d’autres lecteurs français, Voltaire procède à des corrections et une nouvelle version est présentée en 1756 à son cercle de Montriond. Mais des voix s’élèvent. Le pasteur Élie Bertrand, garant jusque-là de Voltaire auprès des autorités de la République de Berne, décrie l’« effet de son venin d’incrédulité » dans une lettre à Jean H. Forney. Il ajoute qu’il aurait préféré que Voltaire « eût choisi un autre pays que la Suisse » pour y vivre (p. 122).

Les lettres recensent l’embellissement des Délices où Voltaire reçoit de nombreuses personnalités de la ville. Convaincu qu’elle unit les vertus républicaines de la liberté et celles morales de la tolérance et de la religion nationale, il veut faire de Genève la scène de sa présence en Europe. La venue de D’Alembert et le projet d’un article « Genève » pour l’Encyclopédie devra contribuer à transformer la cité calviniste en capitale européenne de la raison et de la philosophie (chapitre IV). Elle va aussi déclencher la querelle avec Rousseau.

Entre-temps, les relations avec les Lausannois et Berne se sont détériorées (affaire Saurin) en septembre 1758 et Voltaire ne reviendra pas à Lausanne malgré la nouvelle demeure louée à la rue du Grand-Chêne, proche du théâtre de Mon-Repos (chapitre V). En février 1759, avec la parution de Candide, Voltaire cherche définitivement à se soustraire de la censure « des pasteurs de Genève », selon ses éditeurs. Il veut reprendre toute sa liberté que même « la petite République comme celle de Genève n’a pu lui garantir » (p. 265).

On peut donc regretter qu’à partir du chapitre VI, où Voltaire est désormais installé à Ferney, tout en conservant Les Délices jusqu’en janvier 1765, que Monteforte relate les crispations puis la controverse entre Rousseau et Voltaire en se référant à un corpus de lettres qui n’est pas publié dans le présent ouvrage. Tout en polarisant son attention sur la querelle du théâtre et sur l’affaire Rousseau qui suivit la condamnation de l’Émile et du Contrat social de 1762 à 1768, puis dès les années 1770 sur les revendications des natifs de l’égalité économique et un accès facilité à la bourgeoisie, Monteforte montre dans les trois derniers chapitres de la préface comment finalement Genève serait devenue pour Voltaire un terrain d’expériences politiques où il éprouve son propre engagement. Considéré d’abord comme inspirateur et complice de la condamnation du Contrat social qui déclenche la réaction bourgeoise contre le gouvernement, il deviendrait le défenseur des Représentants et de la bourgeoisie contre le patriciat auquel il était jusqu’alors lié, puis celui des Natifs contre cette même bourgeoisie. Dans les Idées républicaines, bref opuscule anonyme (novembre 1765), Voltaire, à partir de la réalité genevoise, proposerait une vision du bon gouvernement républicain, dans lequel la liberté d’expression et d’imprimer existe : le gouvernement « le plus tolérable de tous — écrit Voltaire — est sans doute celui républicain » (p. 416).

Dans la conclusion, les éditeurs rappellent justement les travaux de Franco Venturi sur le sujet et ils affirment que l’origine des révolutions genevoises de la seconde moitié du XVIIIe siècle ne remonte pas à la condamnation de 1762 de l’Émile et du Contrat social de Rousseau. La crise genevoise commence quelques années auparavant, en 1755, avec l’arrivée de Voltaire à Genève (p. 442). Compte tenu du projet de l’édition de textes, cette problématique n’est guère documentée par les lettres traduites qui s’arrêtent en 1760 et qui visent à couvrir les années de Voltaire en Suisse. On peut regretter l’absence dans l’importante préface qui englobe la trajectoire voltairienne depuis son arrivée à Prangins jusqu’à son retour glorieux à Paris d’une attention plus soutenue sur la partie helvétique. Annoncée dans le titre et déterminée par le choix de lettres, elle aurait pu faire l’objet d’une attention plus soutenue sur le contenu des écrits proposés et des réseaux des correspondants de Voltaire en Suisse durant les années 1754-1760. Une coquille (p. 419) s’est glissée dans la date de la parution de l’Esprit des lois, à Genève (1748) et il est à noter que le quartier de Montriond est situé à l’entrée de Lausanne au XVIIIe siècle (p. 31). Un indispensable index et un cahier de reproductions des tableaux de Jean Huber complètent cette édition italienne des Lettres de Voltaire en Suisse, réalisée à partir de l’édition anglaise en 50 volumes de la Correspondence éditée par Theodore Besterman pour l’édition des Œuvres complètes de Voltaire par la Voltaire Foundation (1968-1977, vol. 85-135).

Zitierweise:
Salvi, Elisabeth: Rezension zu: Monteforte, Franco; Caruso, Carlo (dir.): Voltaire : Gli anni in Svizzera, Locarno : Armando Dadò editore, 2021. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 130, 2022, p. 227-229.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 130, 2022, p. 227-229.

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